Texte:  Dominique Sadri-Faure

Illustration: Catherine Beaumont

 

Le « fou du cimetière »

 

 

 

Au siècle dernier, dans le petit village de Castel-Vieux, on disait qu’il y avait un fou. Ce « fou » était un garçon de 16 ans. Il logeait dans une petite maison à l’intérieur même du cimetière. Ses parents en étaient les gardiens. Il s’appelait Rodérick. Un nom très bizarre. Et lui aussi était « bizarre ». Enfin, c’était surtout à cause de son comportement... Physiquement, il était plutôt petit, très mince avec les cheveux d’un blond pâle. Contrairement aux autres jeunes de son âge, il s’habillait sans beaucoup de recherche. Il boitait aussi un peu parce que, le jour même de ses dix ans, il était tombé d’un arbre, l’arbre le plus haut du cimetière. On aurait pu l’appeler « le boiteux » ce qui aurait déjà été très déplaisant et stupide… mais, en réalité, il était devenu pour tous les gens du village « le fou du cimetière ».
Chaque jour, il ne sortait de son cimetière que pour aller en classe où il se tenait loin des autres... car les autres se moquaient de lui, lui criaient qu’il avait l’air d’une fille, lui lançaient des insultes, le frappaient parfois au détour d’un couloir. Rodérick subissait les affronts sans chercher à se défendre. Il tentait d’éviter les coups, il ne se plaignait jamais. Il n’en parlait pas à ses parents, ni même à son grand-père. Il n’en parlait à personne. Ses notes étaient moyennes, sauf en maths, matière dont il savait tout avant qu’on le lui enseigne ! Il avait dans sa poche un petit carnet où il notait parfois des chiffres. Personne ne savait pourquoi. Il ne s’intéressait à rien de ce qui intéressait les autres : ni aux motos, ni au foot, ni même aux filles… En fait, rien ne l’intéressait à part son cimetière, sa collection de fleurs séchées, les chiffres et un album où étaient dessinés des animaux fantastiques. C’est sûrement qu’il était fou, pensaient les autres…
    Chaque soir, après la fermeture du cimetière, il se promenait tranquillement le long des allées avec son chat noir qui le suivait partout. Il s’adressait tout bas aux fleurs qu’il caressait du doigt. Il s’asseyait parfois sur les tombes et se mettait à parler. Seul ? Avec son chat ? On aurait dit plutôt qu’il faisait la conversation aux occupants des tombes… Un soir de novembre, deux élèves de sa classe l’avaient observé à travers les grilles. Ils étaient presque sûrs qu’il parlait aux morts ! Quelle horreur ! A cette époque, les réseaux sociaux n’avaient pas encore été inventés mais le comportement « anormal » de Rodérick avait quand même fait le tour de la ville. « Pas étonnant que des parents qui s’occupent d’un endroit pareil aient un garçon « comme ça ». Il faudrait l’envoyer chez les fous, à l’asile ! D’ailleurs il est peut-être dangereux !... » disaient les habitants du village en le montrant du doigt.
    Et savez-vous qui était ce « fou » ?
    Eh bien… c’était moi.
    Heureusement, à notre époque, on ne porte plus ce genre de jugement sur les gens différents…
Ou peut-être que… si ?

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Ce récit est tiré du projet Erasmus+ Ludiq'tées