Dominique Godet-Euro-Cordiale, en collaboration avec S. Blanchard et J-C Sonntag, Inetop

1- Qui sont ces « jeunes sans qualification » ? Ý

Le public auquel nous nous sommes intéressés dans le cadre de ce projet est constitué de de jeunes qui sortent de l’école sans qualification et qui se présentent, selon le cas, dans des structures de prise en charge sociale, dans des centres d’orientation ou bien encore dans des organismes de formation. Les appellations et les formes de ces structures varient d’un pays européen à l’autre et nous ne les énumérons pas ici.

Les jeunes que nous avons pu rencontrer dans le cadre de l’expérimentation de notre projet relevaient de contextes différents :
- certains se présentaient dans un organisme d’insertion,
- certains suivaient une formation dans un centre de formation reconnu,
- d’autres suivaient une formation relevant de l’éducation nationale,
- certains relevaient des organismes de chômage,
- d’autres encore étaient dans la rue et ne relevaient d’aucune structure sociale.

Ces jeunes connaissent à la fois des problèmes scolaires, économiques et sociaux. Ils ont très souvent une image dévalorisée d'eux-même et manifestent de grandes difficultés à décrire leurs compétences. C’est pourquoi il est particulièrement important de les amener à prendre conscience de leurs capacités, d’autant plus qu’ils ont très souvent une image dévalorisée d’eux-mêmes. Il s’agit d’aider les jeunes à mettre des mots sur leur savoir et sur la façon dont ils s’y prennent pour réaliser une tâche ou résoudre un exercice.

On comprend dès lors l’importance des procédures d’évaluation individualisées qui s’appuient sur des techniques d’aide à l’explicitation. Ces procédures aident les jeunes dans la prise de conscience de leurs acquis, de leurs progrès et des procédures qu’ils utilisent pour réaliser une tâche. Ce travail d’explicitation est une voie majeure pour renforcer les sentiments de compétences de ces jeunes et leur motivation à apprendre et à entreprendre.

2- Valider les acquis de l’expérience Ý

La reconnaissance et la validation des acquis s’apparentent en fait à une démarche d’évaluation. Nous nous sommes donc inspirés des savoir-faire méthodologiques liés à ce champ.

La validation des acquis de l’expérience (VAE) « est une mesure permettant à toute personne, quels que soient son âge, son niveau d’études, son statut, de faire valider les acquis de son expérience professionnelle pour obtenir, en totalité ou en partie, un diplôme, un titre ou un certificat de qualification professionnelle inscrit au Répertoire national des certifications professionnelles (R.N.C.P.). Dans la majeure partie des cas, le candidat doit remplir un dossier détaillant son expérience professionnelle et les compétences acquises. Il se présente ensuite devant un jury qui décide de valider tout ou partie du diplôme visé. En cas de validation partielle des acquis, des prescriptions sont proposées au candidat en vue d’obtenir la totalité du diplôme. »

Toute demande de reconnaissance et de validation d’acquis professionnels et personnels s’inscrit dans des projets propres à l’individu. Diverses techniques ou procédures peuvent être utilisées pour identifier les acquis et les compétences d’une personne. L’utilisation de notre référentiel de compétences nécessite le couplage de 2 méthodes :

a) L’observation de comportements et de réalisations en situation réelle ou simulée.
Si le jeune est en formation ou en stage, l’observation de la personne peut se faire directement dans des situations sociales et professionnelles réelles. L’évaluation est, idéalement, menée en concertation par les adultes qui accompagnent le candidat : formateur, tuteur en entreprise, maître de stage, assistant social, psychologue, …
Mais notre référentiel offre également la possibilité de placer le candidat dans une situation simulée : des mises en situation et des exercices permettent alors à l’évaluateur de faire le point sur les compétences du jeune.
Dans tous les cas, les critères d’évaluation qui figurent dans les grilles du référentiel auront été présentés au jeune dans un langage accessible. Il est essentiel qu’il sache à l’avance ce sur quoi il va être évalué.
Le jeune doit donc être étroitement associé à la démarche d’évaluation, dans le cadre d’un contrat pédagogique clair qui définit :
- les objectifs de l’évaluation : p. ex., évaluer les compétences du jeune en vue de les reconnaître et de les valider ; mesurer des écarts entre son niveau actuel et son projet de formation… ;
- les rôles du formateur : le formateur aide le jeune à s’approprier les résultats de l’évaluation, il aide le jeune à expliciter la façon dont il a résolu un exercice ou la difficulté qu’il a rencontrée au cours de la réalisation d’une tâche ;
- et les rôles du jeune : le jeune s’engage dans la procédure d’évaluation en en connaissant les objectifs, ce qui le motive à faire de son mieux, et à chercher à comprendre comment il s’y prend pour résoudre un problème ou réaliser une tâche afin de pouvoir progresser.

b) Le recueil d’informations émanant de déclarations de l’intéressé.
Si le jeune demande une validation de ses compétences hors de tout contexte d’apprentissage ou de formation, l’évaluation ne pourra se faire qu’à partir d’entretiens qui auront lieu entre le candidat et l’évaluateur.
Le plus souvent, les intéressés éprouvent des difficultés à décrire de manière précise leurs compétences. Il est donc nécessaire, afin de faciliter et de soutenir leur description, d’introduire l’usage de supports ou techniques d’explicitation. On peut alors avoir recours à des formes d’entretien structuré qui peuvent s’inspirer de la technique de l’entretien d’explicitation de Vermersch (Vermersch & Maurel, 1997)

3- Les attitudes de l’évaluateur Ý

L’objectif prioritaire de l’évaluateur doit être d’aider la personne à prendre conscience de ses capacités et de ses progrès afin de l’aider à développer ses sentiments de compétences ou d’efficacité.

La philosophie de l’évaluation qui guide les pratiques dont nous rendons compte, s’inspire à la fois des conceptions de l’apprentissage développées dans le cadre de la théorie sociale cognitive d’Albert Bandura (Bandura, 2003, 2004 ; Carré, 2004) et des finalités poursuivies dans le cadre des procédures de la validation des acquis de l’expérience (Liétard, 1999 ; Farzad & Paivandi, 2000) .

Cette philosophie de l’évaluation implique, de la part des évaluateurs, les attitudes suivantes :

• Informer le candidat et l’associer au processus d’évaluation:
- Faire expliciter au candidat ses motivations à passer l’évaluation
- L’informer sur la nature des évaluations qu’il va passer
- Expliquer comment ces évaluations se dérouleront

• Prendre en compte la situation et le niveau du candidat :
Il convient de rendre les conditions de passation aussi équitables que possible pour des candidats qui diffèrent par le sexe, l’origine ethnique et culturelle ou qui souffrent d’un handicap socioculturel. Il est donc important de :
- S’assurer que les sujets savent lire, qu’ils comprennent ce qui est demandé, qu’ils savent comment donner la réponse, qu’ils savent passer à la question suivante
- Donner des exemples, varier la situation, expliquer autrement, …

• Pratiquer l’écoute active :
- Écouter, reformuler, mettre en situation de dialogue
- Manifester une attitude positive, encourager.

Veiller aux conditions mat érielles : lieu calme et lumineux, matériel à disposition, …

• Organiser un moment de restitution afin que la personne s’approprie les résultats de sa passation.
- Susciter un échange verbal entre l’évaluateur et la personne est indispensable. Si la personne rencontre des difficultés d’expression en relation avec son origine culturelle, réfléchir aux moyens à mettre en œuvre, rechercher au besoin le concours d’un « interprète », d’amis, de membres de la famille, d’enseignants, de personne relais…
- Utiliser tous les supports et modes d’expression susceptibles d’aider la personne dans la compréhension du message

4- Modalités de passation de l’évaluation Ý

Dans la mesure où l’on s’accorde sur le fait que toute évaluation est une démarche complexe qui doit prendre en compte au moins trois grands paramètres (diversité des situations dans lesquelles l’évaluation s’applique, singularité des personnes auxquelles elle s’adresse, spécificité des évaluateurs), les modalités proposées ici ne doivent pas être considérées comme étant un canevas rigide de règles mais comme des pistes ouvertes.

Des professionnels en exercice dans les établissements partenaires du projet ont expérimenté le référentiel et ce sont leurs pistes, recueillies au cours d’entretiens, que nous pr ésentons ici.

4.1 Le contexte détermine l’usage

Le référentiel est un outil d’évaluation qui peut être utilisé avant, pendant et/ou après une formation. Il peut aussi arriver qu’un candidat souhaite passer un bilan de compétences sans avoir l’objectif de suivre une formation. Selon le contexte, les modalités d’utilisation vont varier.

Si l’évaluation a lieu avant l’entrée dans un processus de formation ou si elle a pour objectif d’établir un bilan sans objectif de formation, elle prendra la forme d’un entretien d’explicitation qui se fondera sur le référentiel. L’évaluateur orientera l’entretien pour être à même de pointer dans les différentes grilles les compétences déjà acquises par le jeune. S’il s’avère nécessaire de vérifier plus finement l’acquisition d’une compétence particulière, l’évaluateur proposera au jeune de réaliser un ou plusieurs des exercices qui illustrent cette compétence.

• Si l’évaluation a lieu au cours de la formation, elle permettra au candidat et à son accompagnateur de faire le point sur ses acquis et sur les compétences encore à développer. Elle prendra la forme d’un entretien positif qui aura pour but :

- de savoir ce qu’il a acquis,
- de comprendre ce qui fait qu’il ne comprend pas,
- de préciser les objectifs qu’il lui faut encore atteindre.

Si l’évaluation a lieu au terme d’une formation, elle a pour but de valider les compétences acquises par le jeune au cours de la formation. Ce bilan lui permettra :

- soit d’accéder à une autre formation,
- soit de se présenter devant un patron avec un document attestant de ses compétences.
Dans ce cas, l’évaluation sera menée par une des personnes qui aura accompagné le jeune pendant sa formation : formateur en centre de formation, maître de stage, tuteur en entreprise, éducateur, psychologue, assistant social, …
L’évaluation peut aussi être réalisée par l’équipe des accompagnateurs qui font alors collégialement le point sur les compétences acquises par le jeune. Selon les contextes et le type de compétence évaluée, celui-ci sera associé ou non au processus d’évaluation.
Dans tous les cas, les exercices qui sont associés à chacun des items des grilles de compétences aideront les évaluateurs et le jeune à se faire une représentation concrète de la compétence attendue.

4.2 Comment conduire l’évaluation de chaque grille ?

Comme nous l’avons vu, les conditions de passation varient en fonction du contexte, de l’objectif poursuivi et aussi en fonction du domaine à évaluer. Certaines grilles prennent la forme d’une batterie d’exercices que le candidat exécute seul, alors que d’autres nécessitent la présence de l’évaluateur qui explicitera certaines choses. D’autres encore sont le support d’un entretien d’explicitation que l’évaluateur mène avec le candidat. Quant aux grilles ayant trait à des attitudes sociales, elles nécessitent au préalable une observation directe du candidat (en classe, en formation, en entreprise).

Le tableau qui suit précise pour chaque grille les conditions de passation, la durée estimée, les modalités de la séance, le rôle de l’évaluateur et les indicateurs de validation de chaque compétence.


Ces informations figurent également au-dessus de chaque grille téléchargeable sur le site.

Conditions de passation
Durée
Modalités
Rôle de l’évaluateur
Indicateurs de validation

1- Communiquer dans la langue du pays

Maîtriser les bases de la langue du pays.
1h ½ max.
Réalisation individuelle d’exercices. Possibilité de faire passer plusieurs candidats en même temps.
Si besoin, lire les consignes et les énoncés.
Dans le cas d’une évaluation menée en fin de formation, on pourrait considérer que la personne ayant la moitié au moins de réponses satisfaisantes obtient la validation du module.

2- Compétences mathématiques

Maîtriser les bases du calcul et être capable d’utiliser des instruments de mesure élémentaires.

1h max.
Réalisation individuelle d’exercices. Possibilité de faire passer plusieurs candidats en même temps.
Si besoin, lire les consignes et les énoncés.
Dans le cas d’une évaluation menée en fin de formation, on pourrait considérer que la personne ayant la moitié au moins de réponses satisfaisantes obtient la validation du module.

3- Culture numérique

Avoir déjà utilisé un
ordinateur.

50 à 60 min. Travail individuel sous le regard de l’évaluateur
Le candidat sera mis en situation.
Le formateur/évaluateur pourra demander des actions précises pendant le travail si le candidat ne les effectue pas spontanément : copier, couper, coller, ouvrir un fichier, enregistrer dans un répertoire, etc.

La décision de valider le module est laissée à l’appréciation de l’évaluateur.

Attention ! Dans cette grille, les compétences linguistiques ne doivent pas influer sur les résultats.

4- Apprendre à apprendre

Etre capable de résoudre des exercices simples ne nécessitant pas de lecture de consignes.
Le candidat sera invité à observer ses propres stratégies d’apprentissage
et à les exprimer.

Très variable
car dépend de la capacité du candidat à réaliser son travail et à en parler.
Travail individuel sous le regard de l’évaluateur.
Si besoin, expliquer l’exercice.
Inviter le candidat à réaliser l’exercice puis à exprimer sa stratégie de résolution.
Respecter le rythme du candidat.
Ne pas prendre en compte la vitesse.
Dans le cas d’une évaluation de fin de formation, on pourrait considérer que la ½ au moins de réponses satisfaisantes permet la validation du module.

5- Compétences personnelles et sociales

Avoir eu l’occasion d’observer le candidat dans une situation réelle mobilisant les compétences sociales reprises dans cette grille.


 

Laissée à l’appréciation
des évaluateurs.

Travail individuel seulement.Entretien mené par l’évaluateur avec le candidat
(Les exercices illustratifs aident l’évaluateur à trouver des situations à explorer avec le candidat lors de l’entretien.) et/ou
Base de discussion
en équipe d’accompagnateurs.
(Les exercices illustratifs aident les évaluateurs à se représenter la compétence attendue.)

Avoir eu l’occasion d’observer le candidat en situation réelle.
Conduire un entretien d’explicitation positif avec le jeune et/ou compléter l’évaluation avec l’équipe qui accompagne le candidat.

Les exigences seront évidemment différentes selon le moment de l’évaluation : entrée en formation, fin de formation ou hors formation.

La décision de validation sera laissée à l’appréciation de l’évaluateur et/ou de l’équipe des accompagnateurs.

6- Adaptation à la vie en entreprise

Le candidat doit avoir effectué une période en entreprise de 15 jours minimum.
Une convention de stage aura au préalable été remise au candidat. Elle spécifiera les objectifs à atteindre. Elle aura été négociée entre le formateur/évaluateur et le tuteur en entreprise.

Laissée à l’appréciation
des évaluateurs.
Cette grille est complétée en co-évaluation par le tuteur en entreprise et par le référent de l’organisme de formation.
Elle peut se faire en présence de la personne concernée.
Avoir eu l’occasion d’observer le candidat en situation réelle.
Mener un entretien positif avec le candidat.
Les exigences seront évidemment différentes selon le moment de l’évaluation : entrée en formation, fin de formation ou hors formation.
La décision de validation sera laissée à l’appréciation de l’évaluateur et/ou de l’équipe des accompagnateurs.